Retour sommaire

Les cichlidés piscivores du lac Malawi

 

Le sujet qui suit concerne les espèces qui agressent nos chers cichlidés: celles qui les mangent, qui volent leurs oeufs, leurs larves ou leurs alevins, qui s'attaquent à leurs nageoires, à leurs écailles. Ce sont ces espèces que je qualifie ici de "piscivores". Je ne parlerai donc pas des cichlidés prédateurs de proies autres que les poissons (comme les invertébrés, insectes, escargots, etc...).

LES ESPECES CONCERNEES

Tous piscivores ?
On pourrait dire que tous les cichlidés sont piscivores, dans la mesure où ils n'hésitent pas à manger les alevins qui passent à leur portée. Il suffit d'observer en aquarium le comportement de nos protégés: lorsqu'il y a un lâcher l'alevins en fin d'incubation, la grande majorité d'entre eux se font manger par les adultes du bac, quels que soient ces adultes: Mbunas, planctophages, prédateurs...
Mais il s'agit là d'un comportement opportuniste. Pourquoi ne pas manger une petite proie si elle passe à portée ? Après tout, tout est bon à manger, et dans le lac Malawi, la quantité de nourriture par cichlidé est bien moindre que celle fournie dans nos aquariums. Les Mbunas qui sont des herbivores mangent aussi les petits animalcules qu'ils trouvent dans l' Aufwuchs. Ils n'ont donc aucune raison de ne pas manger les alevins qui se présentent.

Paedophages (mangeurs d'oeufs et de larves de poissons) et lepidophages (mangeurs d'écailles)
Mis à part les grands piscivores que nous verrons au chapitre suivant, il existe un nombre non négligeable d'espèces qui sont piscivores. Ces espèces se nourrissent en exclusivité ou non d'autres cichlidés. Elles sont à mon avis aussi intéressantes à connaître que les grands piscivores car certaines constituent une étape évolutive. Si les grands piscivores sont arrivés à leur stade de prédation après des millénaires d'évolution, c'est qu'au départ quelques individus d'une espèce non prédatrice ont changé leur comportement alimentaire. A titre d'exemple, Genyochromis mento, au cours de son évolution naturelle, a sans doute dévoyé une technique de combat consistant à mordre son adversaire. Il a dû apprécier la chair et les écailles prélevées et a fini par en faire son met principal.

- Certaines espèces se sont spécialisées dans le vol des oeufs et des larves d'autres cichlidés (paedophages), comme Naevochromis chrysogaster . Cela induit des techniques particulières pour récupérer ce genre de nourriture puisque tous les cichlidés endémiques du lac Malawi ont une incubation buccale. Hemitaeniochromis sp."paedophage" fréquente les bancs d'utakas en incubation. Il attaque les femelle par le haut, démarrant son attaque depuis plusieurs mètres. Le choc produit sur la tête de la femelle lui fait lâcher les oeufs ou les larves qu'elle incube. Il ne reste plus alors au prédateur qu'à se servir. Mais souvent les femelles voient arriver l' Hemitaeniochromis et n'hésitent pas à le pourchasser. Caprichromis orthognathus a trouvé la parade pour ne pas être repéré des femelles: il lance ses attaques par dessous. Ce sont souvent les femelles Fossorochromis rostratus qui en font les frais. Le paedophage cogne avec sa tête la poche buccale qui contient les oeufs ou les larves. La femelle ainsi dérangée finit par cracher sa couvée qui est alors rapidement ingérée. Hemitaeniochromis spilopterus, Hemitaeniochromis. sp. "urotaenia yellow" et d'autres espèces du genre Hemitaeniochromis seraient également paedophages.
- Au sein du genre
Protomelas (mangeurs d'Aufwuchs ou d'invertébrés), Protomelas sp."insignis small" et Otopharynx ovatus fréquentent les arènes de reproduction. Ils sont très habiles pour voler les oeufs que les femelles déposent sur le nid de sable, avant même qu'elles aient eu le temps de se retourner pour les prendre en bouche. On comprend ici tout l'intérêt de la fécondation intra buccale des oeufs, permettant une moindre prédation. J'ai pu observer un tel comportement en aquarium, mais avec une espèce qui n'a pas l'habitude de manger les oeufs. Il s'agissait d'un Aulonocara hansbaenshi qui venait de se faire éconduire par un dominant lors d'une parade. Il n'a pas trouvé mieux que d'attendre sous une roche que le frai ait lieu. Avant que la femelle n'ait eût le temps de reprendre les oeufs en bouche, il est sorti de sa cachette et a avalé les oeufs. Le manège a duré plusieurs fois jusqu'à ce que le mâle dominant s'en rende compte et chasse l'intrus. En aquarium les comportements habituels sont bouleversés par la promiscuité, l'absence de véritable biotope, etc... mais cela montre également que les individus sont opportunistes lorsque l'occasion se présente. Cet opportunisme est sans doute un des éléments clefs dans l'adaptation à l'environnement et dans la perennisation des espèces.
-
Diplotaxodon greenwoodi est l'espèce la plus grande de son genre, mais aussi la seule du genre connue pour voler les alevins de la bouche de leur mère..
- Caprichromis liemi est également paedophage, mais il attaque aussi les cichlidés porteurs de parasites (Argulus)
- Genyochromis mento est un mangeur de nageoires et d'écailles. Il n'attaque jamais les individus de son espèce. Dans le lac on observe chez lui deux techniques de chasse. La première consiste à se rendre invisible parmi le décor, rocheux, facilité en cela par sa coloration sombre. Il se précipite alors sur les poissons qui passent à sa portée, se jetant sur les nageoires caudales, pelviennes et anales porteuses d'ocelles. Sa vitesse lui évite des représailles. Après avoir harcelé ainsi un groupe de poissons devenus méfiants, il se déplace d'un mètre pour recommencer un peu plus loin avec un autre groupe. Sa seconde technique consiste à s'attaquer à des Mbunas qui s'affrontent. Il se régale des écailles perdues lors du combat et profite de l'inattention des adversaires pour les attaquer directement sur les flancs. Il est remarquable de constater que Genyochromis mento , réparti dans tous les habitats autour du lac Malawi, adopte des colorations différentes, toujours proches de celles des autres cichlidés de son habitat. C'est une façon de se mêler incognito à ses proies pour mieux les attaquer. Ainsi à Masinje on trouve des Genyochromis mento OB tout comme les Maylandia zebra locaux, à Minos Reef des formes OB orange vif tout comme les Maylandia estherae, à Mphanga Rocks ils sont jaunes comme les Labeotropheus trewavasae.
-
Corematodus taeniatus
et Corematodus shiranus sont également des mangeurs d'écailles, visant principalement la queue de leur proie. Leur dentition, particulièrement adaptée à leur mode alimentaire ressemble au toucher à du papier de verre. Pour atteindre facilement leur proie, ils se mêlent aux espèces sabulicoles possédant comme eux une bande diagonale. Comme le dit Ad Konings, c'est un loup déguisé en mouton au milieu du troupeau.
- Melanochromis lepidiadaptes ne deviendrait mangeur d'écailles que s'il est en groupe nombreux d'une trentaine d'individus (observation en aquarium d'attaques contre des Nimbochromis).
- Le régime de
Docimodus evelynae est assez spécial car il varie au cours de sa vie, dépendant de sa taille et de sa dentition. A un stade juvénile (de 40 à 60 mm) il vit dans des eaux peu profondes, se nourrit de parasites et de mycoses des poissons malades. A un stade intermédiaire (de 60 à 100 mm) sa dentition tricuspide tombe et il ne peut se nourrir que d'Aufwuchs ou de plancton. Arrivé à une taille de 10 centimètres, de grosses dents côniques ont remplacé les tricuspides et il descend dans les eaux profondes pour se nourrir d'écailles de cichlidés et de barbus et de morceaux de peau de poissons-chats. Docimodus johnstoni possède sans doute le même comportement que Docimodus evelynae puisqu' on a retrouvé dans son estomac des écailles de poissons-chats.

Quelques espèces piscivores inhabituelles
Quelques genres cachent au sein de leur groupe des espèces piscivores.
- On a vu plus haut que les
Protomelas se nourrissaient d'Aufwuchs ou d'invertébrés. Parmi eux, Protomelas ornatus se nourrit aussi de jeunes poissons.
- Placidochromis johnstoni est le seul appartenant à son genre à manger des petits poissons.
- Parmi les
Melanochromis (classés Mbunas alors qu'ils sont plutôt omnivores ) Melanochromis labrosus , Melanochromis melanopterus , Melanochromis simulans, Melanichromis vermivorus sont d'avantage prédateurs.
- Les espèces du genre
Otopharynx sont des fouilleurs de substrat ou voleurs d'oeufs (Otopharynx ovatus ). Parmi elles, Otopharynx Spéciosus et Otopharynx brooksi , rencontrés à des profondeurs de 15 à 100 mètres sont également des espèces prédatrices.

Les grands piscivores
Les véritables piscivores sont généralement des cichlidés de grande taille, la capacité à avaler un autre poisson nécessitant de ce fait une taille respectable. En réalité, les choses ne sont pas aussi tranchées puisqu'on retrouve des cichlidés piscivores de petite taille (certains Melanochromis), de moyenne taille (Sciaenochromis fryeri ). C'est aux grandes espèces qu'on pense quand on parle des piscivores du Malawi. Dans ce tableau, loin d'être exhaustif, seules les espèces les plus courantes sont mentionnées. Pour la maintenance en aquarium je pense qu'il faut en moyenne 20 litres d'eau par centimètre de poisson adulte. Les capacités données dans le tableau sont celles d'Ad Konings.

GENRE

ESPECES

LIENS

TAILLE

mâle-femelle

Maintenance aquarium

façade-capacité

Nombre d'oeufs par ponte
garde parentale

Aristochromis

Aristochromis christyi

cichlidés.com

30-25 cm

200 cm-500 litres

50 gardés 4 semaines

Buccochromis

Buccochromis heterotaenia
Buccochromis
lepturus
Buccochromis
nototaenia
Buccochromis rhoadesii
Buccochromis spectabilis

-
40-30 cm
35-25 cm
35-30 cm

-
200 cm-750 litres
200 cm-500 litres
200 cm-700 litres

-
100
80 gardés 3 semaines
100

Champsochromis

Champsochromis caeruleus
Champsochromis
spilorhynchus

40-30 cm
35-27 cm

200 cm-750 litres
200 cm-750 litres

100
100 à 250

Dimidiochromis

Dimidiochromis compressiceps
Dimidiochromis
kiwinge
Dimidiochromis
strigatus

23-18 cm
35-28 cm
25-18 cm

120 cm-350 litres
200 cm-750 litres
200 cm-750 litres

40
100 gardés 3 semaines
80

Diplotaxodon

Diplotaxodon argenteus
Diplotaxodon ecclesi
Diplotaxodon greenwoodi
(pedophage)
Diplotaxodon aenus
Diplotaxodon limnothrissa

12 cm
12 cm
25 cm
12 cm
16 cm

Exochochromis

Exochochromis anagenys

25-20 cm

180 cm-500 litres

80

Fossorochromis

Fossorochromis rostratus

30-24 cm

200 cm-750 litres

100 gardés 3 semaines

Hemitaeniochromis

Hemitaeniochromis urotaenia

25-18 cm

200 cm-500 litres

100 gardés 3 semaines

Lichnochromis

Lichnochromis acuticeps

20-16 cm

120 cm-350 litres

50

Melanochromis

Melanochromis baliodigma
Melanochromis labrosus

12-10 cm
17-14 cm

Mylochromis

Mylochromis formosus
Mylochromis
gracilis
Mylochromis spilostichus

Mylochromis sp."kande"

25-18 cm
24-18 cm
22-14 cm
22-18 cm

120 cm-350 litres
120 cm-350 litres
150 cm-350 litres
150 cm-500 litres

80
100
60
80

Naevochromis

Naevochromis chrysogaster (paedophage)

20-18 cm

150 cm-350 litres

50

Nimbochromis

Nimbochromis fuscotaeniatus
Nimbochromis
linni
Nimbochromis
livingstoni
Nimbochromis polystigma
Nimbochromis
venustus

24-20 cm
24-20 cm
25-20 cm
25-20 cm
24-20 cm

200 cm-750 litres
150 cm-350 litres
150 cm-350 litres
150 cm-350 litres
150 cm-350 litres

50 garde maternelle
50 garde maternelle
50 gardés 4 semaines
50 gardés 4 semaines
50

Pallidochromis (Turner, 1994b)

Pallidochromis tokolosh
Pallidochromis
sp."chicken"

Rhamphochromis

Rhamphochromis esox
Rhamphochromis leptosoma
Rhamphochromis longiceps
Rhamphochromis macrophtalmus

36 cm
36 cm
24 cm
27 cm

Serranochromis

Serranochromis robustus (non endémique)

50 cm

500 garde maternelle

Sciaenochromis

Sciaenochromis ahli
Sciaenochromis
fryeri
Sciaenochromis
psammophilus

-
16-12 cm

-
120 cm-250 litres

-
30 à 60

Stigmatochromis

Stigmatochromis modestus
Stigmatochromis
pholidophorus
Stigmatochromis
sp."spilotichus type"
Stigmatochromis sp. "tolae"
Stigmatochromis woodi

20-16 cm
18-16 cm
20-17 cm
20-17 cm
25-19 cm

150 cm-350 litres-
150 cm-350 litres
200 cm-500 litres
200 cm-500 litres

80
50
50
80
80

Taeniochromis

Taeniochromis holotaenia

24-18 cm

200 cm-500 litres

50

Tyrannochromis

Tyrannochromis macrostoma
Tyrannochromis nigriventer

35-30 cm
30-26 cm

200 cm-500 litres
200 cm-500 litres

70 garde maternelle
70 garde maternelle

LE REGIME

La plupart des cichlidés piscivores se nourrissent d' autres cichlidés car ce sont les espèces les plus répandues dans le lac. Certaines espèces se sont spécialisées pour chasser les Mbunas : Aristochromis christyi , Nimbochromis linni , Stigmatochromis modestus, Tyrannochromis nigriventer, etc... , d'autres préfèrent les utakas : Hemitaeniochromis urotaenia, ... D'autres espèces ont des préférences pour des proies différentes. Ainsi Champsochromis caeruleus et les Diplotaxodon s'attaquent aux usipa ("sardines" du lac), Bucchochromis lepturus et Bucchochromis nototaenia chassent les jeunes haplochrominiens. Beaucoup enfin ne font pas de différence entre les espèces chassées: Buccochromis heterotaenia, Rhamphochromis, Sciaenochromis fryeri.
Bon nombre de piscivores ajoutent à leur menu "poissons" un menu "
invertébrés". On peut citer parmi ces ceux-ci Fossorochromis rostratus, Lichnochromis acuticeps , Melanochromis baliodigma, les Mylochromis, Sciaenochromis psammophilus , Stigmatochromis sp "tolae", Taeniochromis holotaenia.
Hemitaeniochromis sp."spilopterus blue" se nourrit également d'oeufs et de larves de poissons-chats, mais pas de façon exclusive et Mylochromis melanonotus ajoute également à son menu les alevins des poissons-chats. Les Diplotaxodon s'alimentent aussi de plancton.

LA TAILLE DES PROIES

Elle est souvent fonction de la capacité buccale du prédateur. Ainsi les petits prédateurs s'attaquent volontiers à de petites proies, comme Hemitaeniochromis sp."urotaenia tanzania", les Melanochromis, certains Mylochromis (formosus), Stigmatochromis modestus. Nombre de prédateurs de taille moyenne également: Nimbochromis (livingstoni, fuscotaeniatus, linni ), Sciaenochromis fryeri , Sciaenochromis psammophilus, les Mylochromis, Dimidiochromis compressiceps, Dimidiochromis kiwinge , Hemitaeniochromis urotaenia, Stigmatochromis sp "tolae", Stigmatochromis modestus,
Mais la relation entre taille des proies et capacité buccale n'est pas toujours proportionnelle.
Ainsi, Aristochromis christyi qui mesure jusqu'à 30 cm chasse aussi bien les petits que les gros poissons, avec des poies allant de 3 à 8 cm, soit le tiers de sa propre taille! De son côté, Bucchochromis heterotaenia, grand prédateur par sa taille (42 cm) s'attaque à des proies plus petites comme des jeunes Mbunas ou non-Mbunas juvéniles, de même Nimbochromis linni d'une taille de 30 centimètres qui préfère les jeunes Mbunas. Tyrannochromis nigriventer (plus de 30 cm de long) est un des rares piscivores à s'attaquer aux Mbunas adultes d'une taille de 6 centimètres. Quant à Serranochromis robustus, espèce non endémique du Malawi, sa grande taille (50 centimètres) lui permet de s'attaquer à des Mbunas adultes ainsi qu'à de petits cichlidés.

 

Sciaenochromis fryeri : un cichlidé très calme dont il faut se méfier. Il n'hésite pas à s'attaquer à de grandes proies.
Ici, il a les yeux plus gros que le ventre. Il sera bien obligé de relâcher sa proie, en l'occurence un
Neolamprologus cylindricus qu'il n'aurait jamais pu rencontrer en mlieu naturel (cichlidé du Tanganyika)

 

LES TECHNIQUES DE CHASSE DES GRANDS PISCIVORES

Généralement les habitats rocheux favorisent les chasses à l'affût, et les zones sableuses les chasses de poursuite, mais en dehors de ces généralités, et au sein d'un même genre, les espèces peuvent utiliser des techniques différentes (voir plus bas pour les Nimbochromis).
Les chasseurs à l'affût
Aristochromis christyi n'est pas un nageur rapide, mais il compense cette carence par une technique de chasse originale. Après avoir repéré un Mbuna dont la taille peut aller jusqu'à 8 cm, il incline son corps vers le bas et fixe sa proie avec un seul oeil. Il descend ensuite vers elle très lentement pour ne pas l' effrayer et d'un brusque mouvement latéral de la tête il la saisit entre ses mâchoires. Deux autres espèces du Malawi utilisent cette même technique de chasse, ce sont Tyrannochromis macrostoma et Exochochromis anagenys.

 

Aristochromis christyi : une cavité buccale démesurée

Son profil effilé lui permet de passer inaperçu.

Dimidiochromis compressiceps a longtemps été considéré comme mangeur d'yeux (Wickler, 1966). Mais ce comportement n'a jamais été réellement observé dans le lac. Il est inféodé à l'habitat rocheux planté de Vallisneria dans la région de Chizumulu Island. Jusqu'à une taille de quatre centimètres, il se nourrit de plancton. Plus tard, sa vie de piscivore consiste à attendre ses proies en se tenant à la verticale au milieu de la végétation. sa position lui fournit un excellent camoufflage. De ses deux yeux il localise sa proie puis se précipite sur elle d'une brusque impulsion du corps. Il se nourrit de petits poissons, de jeunes utakas ou d' autres espèces grégaires. La forme aplatie, la tête effilée, la mâchoire inférieure plus longue que la mâchoire supérieure de Dimidiochromis strigatus sont adaptés à la prédation: c'est un piscivore qui se nourrit à l'affût de petits poissons. Eccles et Trewavas (1989) l'ont décrit comme mangeant également des invertébrés et des plantes aquatiques, mais c'est principalement un prédateur embusqué, ce qui explique qu'il est rarement capturé.


Dimidiochromis strigatus

Nimbochromis linni chasse les jeunes Mbunas. Sa grande taille l'empêche de pénéter entre les rochers, mais il est avantagé par la couleur de sa robe qui le camouffle dans l'environnement rocheux. Il passe son temps à nager tranquillement, toujours à la recherche d'une proie. Lorsqu'il en a aperçu une, il descend à la verticale, son museau pointu près des crevasses où se réfugient ses proies. Il peut rester immobile de longues minutes jusqu'à ce q'un imprudent arrive à sa portée. Nimbochromis linni lance alors sa bouche prohéminente en avant et aspire le jeune Mbuna hors de sa cachette.
Nimbochromis livingstoni , commun dans tout le lac, possède une coloration de robe caractéristique avec des taches blanches et noires. Sa technique de chasse consiste à se coucher sur le flanc sur le sable et à camouffler sa silhouette en remuant le sable pour qu'il le couvre en partie. Les jeunes cichlidés des environs sont attirés par les taches blanches de son corps et s'en approchent. Les débris soulevés par le Nimbochromis livingstoni lors de son camoufflage attirent également les jeunes poissons. Dès qu'ils sont à sa portée, d'une brève attaque latérale, le Nimbochromis livingstoni se jette alors sur sa proie. On pense également que les tâches blanches et noires sur la robe du prédateur font penser à un poisson en décomposition, déjouant la méfiance des futures proies.
Nimbochromis venustus utilise une technique similaire. Lorsqu'il a repéré de tout petits poissons, il se rapproche du fond sablonneux et attend patiemment que les proies arrivent à sa portée. On pense que la couleur jaune de sa robe attire les petits poissons. La patience qu'il peut avoir en attendant ses proies l'on fait qualifier de "kaligono", tout comme le Nimbochromis livingstoni , ce qui veut dire "dormeur". Cette technique de chasse à l'affût, il ne l'utilise pas lorsqu'il s'attaque à des proies plus grosses. Mais il se nourrit également d'invertébrés qu'il rencontre.
Nimbochromis polystigma se rencontre plus volontiers dans les habitats intermédiaires. Lorsqu'il est seul, il utilise la même technique de chasse que Nimbochromis livingstoni , mais sans se coucher sur le côté. Lorsqu'il vit en banc de vingt à cinquante individus, il patrouille l'habitat, dévorant tous les petits poissons rencontrés. Le banc se comporte alors comme une une meute affamée.
Nimbochromis fuscotaeniatus possède comme les trois espèces précédentes des taches faisant penser à un chasseur à l'affût, mais personne ne l'a réellement observé dans cette situation.

Stigmatochromis woodi fréquente l'habitat intermédiaire et se cache volontiers sous les roches en surplomb pour épier ses proies. Les grands spécimens et ceux qui fréquentent les zones sableuses chassent sur le sable. Ils restent en position stationnaire et attendent le passage de leur proie pour se jeter dessus.
Un autre
Stigmatochromis, S. modestus se cache encore plus que S. woodi puisqu'il attend ses proies à l'intérieur même des grottes. Les jeunes Mbunas qui y pénètrent ont peu de chances d'échapper à la gueule vorace du prédateur.
Stigmatochromis
pholidophorus se poste à un mètre au dessus du sol, attendant les jeunes cichlidés. Ceux-ci ne semblent pas effrayés de sa présence, permettant au prédateur de se jetter sur eux quand ils sont à moins d' un mètre de distance.

Tyrannochromis macrostoma fréquente l'habitat rocheux et chasse à la manière d' Aristochromis christyi , le corps incliné à 45° et la tête penchée. Sa bouche énorme permet d'une brusque impulsion d'arracher sa victime hors de son refuge. Tyrannochromis nigriventer chasse à l'affût les Mbunas adultes en se tenant caché derrière un rocher, puis s'avance lentement vers sa proie et se précipite sur elle.

Les chasseurs de poursuite
Ils sont facilement reconnaissables à une forme très effilée leur permettant un déplacement très rapide: les Rhamphochromis (piscivores d'eaux profondes), Taeniochromis holotaenia...
-
Champsochromis spilorynchus est retrouvé un peu partout dans le lac et c'est un redoutable chasseur de poursuite capable de suivre sa proie sur de longues distances. Champsochromis caeruleus est lui aussi un chasseur de poursuite, s'alimentant d' usipas.
-
Exochochromis anagenys se déplace à grande vitesse à un mètre au dessus du sol, puis s'arrête quand il a repéré une proie. Il utilise alors la même technique qu'Aristochromis christyi en s'approchant lentement et en capturant la proie d'une brusque impulsion latérale de sa tête, la forme compressée de sa bouche favorisant la prise.
- Sciaenochromis psammophilus est un chasseur solitaire, nageant à 30 cm du sable, à la recherche de petits cichlidés et d'invertébrés.

Les prédateurs à lèvres épaisses
Melanochromis labrosus possède deux atouts pour s'alimenter : un corps fortement compressé latéralement et des lèvres charnues. Son terrain de chasse, ce sont les crevasses horizontales situées à l'intérieur des grottes. Après s'être retourné à 90°, dans le sens de la fente, il applique ses lèvres contre les parois de la crevasse, l'obturant complètement. Il ne lui reste plus qu'à aspirer sa proie (petit Mbuna ou crustacé) qui se dirige directement dans sa bouche.
Protomelas ornatus possède également les deux caractéristiques du Melanochromis labrosus mais il ne s'alimente pas à l'intérieur des grottes. Il patrouille dans l'habitat et s'arrête parfois pour appliquer ses lèvres charnues entre les fissures des roches après s'être couché à l'horizontale. Ses lèvres hypertrophiées sont pointues et compressées latéralement, particulièrement adaptées pour les fissures et les rainures où il déniche les petits Mbunas et les gros invertébrés qui s'y cachent.
Lichnochromis acuticeps , lui aussi compressé latéralement possède des lèvres charnues et un museau pointu. Il se nourrit de larves d'insectes et de petits Mbunas. Patrouillant sur de longues distances, il s'arrête parfois pour dénicher une proie cachée entre les fentes des rochers.

Les autres techniques de chasse
Dimidiochromis kiwinge est un prédateur grégaire qui chasse souvent en bancs. Les usipas qui sont chassés s'affolent parfois et on peut les voir se précipiter hors de l'eau pour tenter d'échapper à leurs prédateurs.
Dans le lac Malawi on rapporte une technique de chasse observée une seule fois. Il s'agissait d'un
Sciaenochromis fryeri qui faisait semblant de picorer l'Aufwuchs. La méfiance des Mbunas proches fut de courte durée puisque le prédateur se jeta sur l'un d'eux dès qu'il fut à sa portée.
Melanochromis baliodigma est un opportuniste qui n'hésite pas à aller chercher ses proies parmi les poissons pris dans les filets des pêcheurs.
Fossorichromis rostratus est un peu à part dans le groupe des prédateurs car si les adultes ne dédaignent pas manger de petits poissons, la plupart du temps ils passent leur journée à tamiser le sable pour se nourrir des invertébrés qu'ils trouvent. Preuve qu'ils sont peu piscivores, c'est qu'on retrouve souvent dans leur sillage les "suiveurs bleus" qu'ils ne chassent pas. Il faut dire que la taille de ces suiveurs est peut être un peu grande pour eux, mais en aquarium les Fossorichromis rostratus sont peu agressifs envers les poissons de petite taille.


Fossorochromis rostratus.

 

LA REPRODUCTION

Site de ponte
La plupart des prédateurs du Malawi pondent dans des cratères de sable, utilisant peu ou pas les roches. Lorsqu'une même espèce fréquente différents habitats, elle adapte ses sites de ponte.
On trouve ainsi:
- des cuvettes de sable, peu profondes isolées (
Dimidiochromis compressiceps , Naevochromis chrysogaster, Hemitaeniochromis urotaenia , Mylochromis sp."kande" )
- des cuvettes de sable, peu profondes au milieu ou à proximité de massifs de Vallisneria (
Dimidiochromis strigatus )
- des cuvettes de sable, peu profondes près d'un rocher (
Nimbochromis livingstonii , Hemitaeniochromis urotaenia , Nimbochromis linni , Taeniochromis holotaenia , Nimbochromis polystigma )
- des châteaux de sable, peu profonds, de un mètre de diamètre, isolé (
Stigmatochrimis woodi , Dimidiochromis kiwinge , Mylochromis spilostichus ) ou près d'un gros bloc rocheux ( Tyrannochromis nigriventer ). Ce château de sable pouvant aller jusqu'à deux mètres de diamètre ( Fossorochromis rostratus )
- Tyrannochromis macrostoma construit un mur de sable semi circulaire contre un rocher
- Nimbochromis linni pond sur un rocher plat entouré de rochers plus petits
-
Nimbochromis polystigma et Dimidiochromis kiwinge pondent dans les rochers de l'habitat intermédiaire
- Nombre d'espèces ne semblent pas avoir de site de ponte (
Nimbochromis venustus ) ou ne construisent pas de site de ponte ( Buccochromis rhoadesii et Buccochromis lepturus )
-
Sciaenochromis fryeri n'a pas de site de ponte, mais dans deux localités (Lupingu et Liuli), on a retrouvé des mâles dans des cratères de ponte. Dans le lac on a observé un Sciaenochromis fryeri qui creusait une cuvette en faisant tourner son corps dans le sable.
La reproduction en arène ( en "lek")
- Dans l'habitat rocheux ou sableux, il arrive que des dizaines ou des centaines de mâles se regroupent, chacun sur un site de ponte. Cela permet aux femelles d'avoir le choix entre de nombreux mâles. Ce mode de reproduction est dit " en lek" (Stigmatochromis pleurospilus, Dimidiochromis kiwinge Otter Point et Likoma...). Généralement les sites de ponte en lek sont occupés par les mâles le matin et abandonnés dans la journée pour pouvoir s'alimenter. Dans ces lieux de reproduction, certains mâles d'une même espèce construisent des châteaux de sable plus larges et plus hauts que les autres. Il s'agit des mâles les plus vigoureux, les plus beaux qui bien évidemment seront choisis en priorité par les femelles.
- Les
Nimbochromis livingstonii ont habituellement un comportement solitaire en creusant une soucoupe dans le sable près d'un rocher, mais à Makokola Reef ( sud-est du Malawi) à trente mètres de profondeur, ils utilisent une reproduction en arène.
Le nombre d'oeufs pondus et incubés varie en fonction de l'espèce, de l'âge de la femelle (et donc de la capacité de sa cavité buccale) et de chaque individu.
Plus la femelle est jeune et moins elle incubera d'oeufs. Les petites espèces piscivores comme les
Melanochromis n'incubent que quelques oeufs à une cinquantaine, alors que les grands piscivores peuvent incuber une centaine d'oeufs. Serranochromis robustus peut incuber jusqu'à cinq cents oeufs, mais ce n'est pas un cichlidé endémique du Malawi.

LA PROTECTION DES ALEVINS PENDANT ET APRES L'INCUBATION

La surveillance des alevins est assurée la plupart du temps par la mère. Mais on a observé dans le lac Malawi des femelles Tyrannochronis nigriventer avec leurs alevins à proximité de mâles en tenue de frai. Il semblerait dans ce cas que le mâle participe également à la protection des alevins. Cela expliquerait qu'une femelle Tyrannochronis nigriventer puisse rester six semaines à protéger ses petits, le mâle lui permettant d'aller s'alimenter entre temps. Mais cela reste encore du domaine de l'hypothèse.
Paradoxalement, certaines femelles prédatrices protègent des alevins qui ne sont pas issus de leur ponte.
A titre d'exemple, les femelles Aulonacara pétricoles s'occupent de leurs alevins pendant un à deux jours après leur lâcher. Elles les abandonnent ensuite dans les rochers où ils resteront jusqu'à la taille de trois centimètres avant de s'aventurer hors de leur abri. Ces alevins se réfugient souvent parmi les alevins d'une femelle piscivore qui pourra les protèger pendant trois semaines ( Fossorochromis rostratus, Dimidiochromis kiwinge), un mois (Nimbochromis livingstonii, Nimbochromis polystigma, Aristochromis chrystii,...), voire même six semaines (Tyrannochronis nigriventer ). Les alevins "squatters" profitent de l'instinct maternel de ces femelles qui, dans d'autres circonstances, n'en auraient fait qu'une bouchée.

LA MAINTENANCE EN AQUARIOPHILIE

Posséder chez soi des piscivores nécessite un grand bac. Les prédateurs sont généralement de grande taille, pouvant aller jusqu'à quarante, voire cinquante centimètres. Un calcul simple consiste à dire qu'il faut 20 litres d'eau par centimètre de poisson adulte (ex : pour un piscivore adulte de 25 cm, il faudra un bac de 25*20=500 litres d'eau au minimum).
Les espèces plus petites comme les
Melanochromis ou les Sc.fryeri peuvent vivre dans des bacs de 200 litres. Il est bien évident qu'il faut réfléchir aux autres espèces maintenues avec ces prédateurs. Plus leur taille sera petite, plus elles risqueront de se faire manger. Les piscivores nés en captivité et nourris avec des granulés, moules, crevettes, etc... gardent toujours leur instinct sauvage. On peut atténuer le risque en multipliant les cachettes pour les petits poissons. Certaines proies vont vite s'habituer à certaines techniques de chasse. Ainsi, un Aristochromis christyi arrivera à tromper une ou plusieurs proies, mais les autres auront vite compris sa technique de chasse et ne s'y laisseront pas prendre. A l'opposé, un Dimidiochromis compressiceps arrivera presque toujours à ses fins avec les alevins car sa patience à l'affût lui sera profitable.
Il est préférable de nourrir les prédateurs avec une nourriture morte (moules, crevettes, crustacés...). Si on est tenté de leur fournir des petits poissons comme nourriture, ils se montreront plus agressifs envers les autres habitants du bac.
Si on veut les reproduire il est préférable de les faire jeûner une semaine. Les mâles se colorent et défendent un site de ponte. On isolera les femelles en incubation en les capturant pendant la nuit. Elles seront ensuite isolées dans un bac maternité pour être tranquiles le reste de l'incubation. Beaucoup d'espèces protèges leurs alevins pendant plusieurs semaines (voir le tableau ci dessus).

BIBLIOGRAPHIE

"CICHLIDES AFRICAINS, espèces d'Afrique orientale" par Dr. Wolfgang Staeck, Horst Linke
"Les cichlidés du Malawi dans leur milieu naturel" 3° édition. Ad Konings.
"Le grand livre des cichlidés", 2° édition, Ad Konings.2002.
"Le guide Back to Nature des Cichlidés du MALAWI". 2° édition, Ad Konings. 2003.
"Cichlidés du lac Malawi de Tanzanie". Andreas Spreinat.1996
Cichlid Fishes of Lake Malawi

Février 2007

Tous droits de reproduction interdits sans autorisation
© COPYRIGHT J-Paul Carme

Retour sommaire