Les
cichlidés piscivores du lac Malawi
Le sujet qui suit concerne les
espèces qui agressent nos chers cichlidés: celles qui
les mangent, qui volent leurs oeufs, leurs larves ou leurs alevins,
qui s'attaquent à leurs nageoires, à leurs
écailles. Ce sont ces espèces que je qualifie ici de
"piscivores". Je ne parlerai donc pas des cichlidés
prédateurs de proies autres que les poissons (comme les
invertébrés, insectes, escargots, etc...).
LES ESPECES
CONCERNEES
Tous piscivores ?
On pourrait dire que tous les
cichlidés sont piscivores, dans la mesure où ils
n'hésitent pas à manger les alevins qui passent
à leur portée. Il suffit d'observer en aquarium le
comportement de nos protégés: lorsqu'il y a un
lâcher l'alevins en fin d'incubation, la grande majorité
d'entre eux se font manger par les adultes du bac, quels que soient
ces adultes: Mbunas, planctophages, prédateurs...
Mais il s'agit là d'un comportement opportuniste. Pourquoi ne
pas manger une petite proie si elle passe à portée ?
Après tout, tout est bon à manger, et dans le lac
Malawi, la quantité de nourriture par cichlidé est bien
moindre que celle fournie dans nos aquariums. Les Mbunas qui sont des
herbivores mangent aussi les petits animalcules qu'ils trouvent dans
l' Aufwuchs. Ils n'ont donc aucune raison de ne pas manger les
alevins qui se présentent.
Paedophages (mangeurs d'oeufs et de larves de poissons)
et lepidophages
(mangeurs
d'écailles)
Mis à part les grands
piscivores que nous verrons au chapitre suivant, il existe un nombre
non négligeable d'espèces qui sont piscivores. Ces
espèces se nourrissent en exclusivité ou non d'autres
cichlidés. Elles sont à mon avis aussi
intéressantes à connaître que les grands
piscivores car certaines constituent une étape
évolutive. Si les grands piscivores sont arrivés
à leur stade de prédation après des
millénaires d'évolution, c'est qu'au départ
quelques individus d'une espèce non prédatrice ont
changé leur comportement alimentaire. A titre d'exemple,
Genyochromis
mento, au cours de son
évolution naturelle, a sans doute dévoyé une
technique de combat consistant à mordre son adversaire. Il a
dû apprécier la chair et les écailles
prélevées et a fini par en faire son met
principal.
- Certaines espèces se sont
spécialisées dans le vol des oeufs et des
larves d'autres cichlidés (paedophages),
comme Naevochromis
chrysogaster
. Cela induit des techniques
particulières pour récupérer ce genre de
nourriture puisque tous les cichlidés endémiques du lac
Malawi ont une incubation buccale. Hemitaeniochromis sp."paedophage" fréquente les bancs d'utakas en incubation. Il
attaque les femelle par le haut, démarrant son attaque depuis
plusieurs mètres. Le choc produit sur la tête de la
femelle lui fait lâcher les oeufs ou les larves qu'elle incube.
Il ne reste plus alors au prédateur qu'à se servir.
Mais souvent les femelles voient arriver l' Hemitaeniochromis et n'hésitent pas à le pourchasser.
Caprichromis
orthognathus
a trouvé la parade
pour ne pas être repéré des femelles: il lance
ses attaques par dessous. Ce sont souvent les femelles
Fossorochromis
rostratus qui en font les
frais. Le paedophage cogne avec sa tête la poche buccale qui
contient les oeufs ou les larves. La femelle ainsi
dérangée finit par cracher sa couvée qui est
alors rapidement ingérée. Hemitaeniochromis spilopterus, Hemitaeniochromis. sp. "urotaenia yellow" et d'autres espèces du genre Hemitaeniochromis seraient également paedophages.
- Au sein du genre Protomelas
(mangeurs d'Aufwuchs ou d'invertébrés),
Protomelas
sp."insignis small"
et Otopharynx
ovatus
fréquentent les
arènes de reproduction. Ils sont très habiles pour
voler les oeufs que les
femelles déposent sur le nid de sable, avant même
qu'elles aient eu le temps de se retourner pour les prendre en
bouche. On comprend ici tout l'intérêt de la
fécondation intra buccale des oeufs, permettant une moindre
prédation. J'ai pu observer un tel comportement en aquarium,
mais avec une espèce qui n'a pas l'habitude de manger les
oeufs. Il s'agissait d'un Aulonocara hansbaenshi qui venait de se faire éconduire par un dominant
lors d'une parade. Il n'a pas trouvé mieux que d'attendre sous
une roche que le frai ait lieu. Avant que la femelle n'ait eût
le temps de reprendre les oeufs en bouche, il est sorti de sa
cachette et a avalé les oeufs. Le manège a duré
plusieurs fois jusqu'à ce que le mâle dominant s'en
rende compte et chasse l'intrus. En aquarium les comportements
habituels sont bouleversés par la promiscuité,
l'absence de véritable biotope, etc... mais cela montre
également que les individus sont opportunistes lorsque
l'occasion se présente. Cet opportunisme est sans doute un des
éléments clefs dans l'adaptation à
l'environnement et dans la perennisation des espèces.
- Diplotaxodon greenwoodi
est l'espèce la plus
grande de son genre, mais aussi la seule du genre connue pour
voler les
alevins de la bouche de leur
mère..
- Caprichromis liemi est également paedophage, mais il attaque aussi
les cichlidés porteurs de parasites
(Argulus)
- Genyochromis mento est un mangeur
de nageoires et
d'écailles.
Il n'attaque jamais les
individus de son espèce. Dans le lac on observe chez lui deux
techniques de chasse. La première consiste à se rendre
invisible parmi le décor, rocheux, facilité en cela par
sa coloration sombre. Il se précipite alors sur les poissons
qui passent à sa portée, se jetant sur les nageoires
caudales, pelviennes et anales porteuses d'ocelles. Sa vitesse lui
évite des représailles. Après avoir
harcelé ainsi un groupe de poissons devenus méfiants,
il se déplace d'un mètre pour recommencer un peu plus
loin avec un autre groupe. Sa seconde technique consiste à
s'attaquer à des Mbunas qui s'affrontent. Il se régale
des écailles perdues lors du combat et profite de
l'inattention des adversaires pour les attaquer directement sur les
flancs. Il est remarquable de constater que Genyochromis mento ,
réparti dans tous les habitats autour du lac Malawi, adopte
des colorations différentes, toujours proches de celles des
autres cichlidés de son habitat. C'est une façon de se
mêler incognito à ses proies pour mieux les attaquer.
Ainsi à Masinje on trouve des Genyochromis mento OB tout comme
les Maylandia zebra
locaux, à Minos Reef des formes OB orange vif tout comme
les Maylandia estherae,
à Mphanga Rocks ils
sont jaunes comme les Labeotropheus trewavasae.
- Corematodus
taeniatus et
Corematodus
shiranus sont également des mangeurs
d'écailles, visant principalement la queue de leur
proie. Leur dentition, particulièrement adaptée
à leur mode alimentaire ressemble au toucher à du
papier de verre. Pour atteindre facilement leur proie, ils se
mêlent aux espèces sabulicoles possédant comme
eux une bande diagonale. Comme le dit Ad Konings, c'est un loup
déguisé en mouton au milieu du troupeau.
- Melanochromis lepidiadaptes ne deviendrait mangeur d'écailles que s'il est en groupe nombreux d'une trentaine
d'individus (observation en aquarium d'attaques contre des
Nimbochromis).
- Le régime de Docimodus evelynae est assez
spécial car il varie au cours de sa vie, dépendant de
sa taille et de sa dentition. A un stade juvénile (de 40
à 60 mm) il vit dans des eaux peu profondes, se nourrit de
parasites et de
mycoses des poissons malades.
A un stade intermédiaire (de 60 à 100 mm) sa dentition
tricuspide tombe et il ne peut se nourrir que d'Aufwuchs ou de plancton. Arrivé à une taille de 10
centimètres, de grosses dents côniques ont
remplacé les tricuspides et il descend dans les eaux profondes
pour se nourrir d'écailles de cichlidés et de barbus et de morceaux de peau de
poissons-chats.
Docimodus
johnstoni possède
sans doute le même comportement que Docimodus evelynae puisqu' on a retrouvé dans son estomac des
écailles de poissons-chats.
Quelques espèces piscivores
inhabituelles
Quelques genres cachent au
sein de leur groupe des espèces piscivores.
- On a vu plus haut que les Protomelas se
nourrissaient d'Aufwuchs ou d'invertébrés. Parmi eux,
Protomelas
ornatus se nourrit aussi
de jeunes poissons.
- Placidochromis johnstoni est
le seul appartenant à son genre à manger des petits
poissons.
- Parmi les Melanochromis
(classés Mbunas alors
qu'ils sont plutôt omnivores ) Melanochromis labrosus , Melanochromis
melanopterus , Melanochromis simulans, Melanichromis vermivorus sont d'avantage prédateurs.
- Les espèces du genre Otopharynx sont
des fouilleurs de substrat ou voleurs d'oeufs
(Otopharynx ovatus ).
Parmi elles, Otopharynx
Spéciosus
et Otopharynx brooksi , rencontrés à des profondeurs de 15
à 100 mètres
sont également des
espèces prédatrices.
Les grands piscivores
Les véritables
piscivores sont généralement des cichlidés de
grande taille, la capacité à avaler un autre poisson
nécessitant de ce fait une taille respectable. En
réalité, les choses ne sont pas aussi tranchées
puisqu'on retrouve des cichlidés piscivores de petite taille
(certains Melanochromis),
de moyenne taille (Sciaenochromis fryeri ). C'est aux grandes espèces qu'on pense quand on
parle des piscivores du Malawi. Dans ce tableau, loin d'être
exhaustif, seules les espèces les plus courantes sont
mentionnées. Pour la maintenance en aquarium je pense qu'il
faut en moyenne 20 litres d'eau par centimètre de poisson
adulte. Les capacités données dans le tableau sont
celles d'Ad Konings.
LE
REGIME
La plupart des cichlidés
piscivores se nourrissent d' autres cichlidés car ce sont les espèces les plus
répandues dans le lac. Certaines espèces se sont
spécialisées pour chasser les Mbunas : Aristochromis christyi , Nimbochromis linni
, Stigmatochromis modestus, Tyrannochromis nigriventer,
etc... , d'autres
préfèrent les utakas :
Hemitaeniochromis urotaenia,
... D'autres espèces
ont des préférences pour des proies différentes.
Ainsi Champsochromis caeruleus
et les Diplotaxodon s'attaquent aux usipa
("sardines" du lac), Bucchochromis lepturus et Bucchochromis
nototaenia chassent les
jeunes haplochrominiens. Beaucoup enfin ne font pas de
différence entre les espèces chassées:
Buccochromis
heterotaenia, Rhamphochromis, Sciaenochromis
fryeri.
Bon nombre de piscivores ajoutent à leur menu "poissons" un
menu "invertébrés". On peut citer parmi ces ceux-ci Fossorochromis rostratus, Lichnochromis
acuticeps , Melanochromis baliodigma, les Mylochromis, Sciaenochromis psammophilus ,
Stigmatochromis
sp "tolae", Taeniochromis
holotaenia.
Hemitaeniochromis sp."spilopterus blue" se nourrit également
d'oeufs et de larves de
poissons-chats, mais pas de
façon exclusive et Mylochromis melanonotus ajoute également à son menu les
alevins des poissons-chats.
Les Diplotaxodon s'alimentent aussi de plancton.
LA TAILLE DES
PROIES
Elle est souvent fonction de la
capacité buccale du prédateur. Ainsi les petits
prédateurs s'attaquent volontiers à de petites proies,
comme Hemitaeniochromis
sp."urotaenia tanzania", les
Melanochromis,
certains Mylochromis (formosus), Stigmatochromis
modestus. Nombre de
prédateurs de taille moyenne également: Nimbochromis (livingstoni,
fuscotaeniatus, linni ),
Sciaenochromis
fryeri , Sciaenochromis psammophilus,
les Mylochromis, Dimidiochromis compressiceps,
Dimidiochromis
kiwinge , Hemitaeniochromis urotaenia,
Stigmatochromis sp "tolae",
Stigmatochromis
modestus,
Mais la relation entre taille des proies et capacité buccale
n'est pas toujours proportionnelle. Ainsi,
Aristochromis christyi
qui mesure jusqu'à 30
cm chasse aussi bien les petits que les gros poissons, avec des poies
allant de 3 à 8 cm, soit le tiers de sa propre taille! De son
côté, Bucchochromis heterotaenia, grand prédateur par sa taille (42 cm) s'attaque
à des proies plus petites comme des jeunes Mbunas ou
non-Mbunas juvéniles, de même Nimbochromis
linni d'une taille de 30 centimètres qui
préfère les jeunes Mbunas. Tyrannochromis nigriventer (plus de 30 cm de long) est un des rares piscivores
à s'attaquer aux Mbunas adultes d'une taille de 6
centimètres. Quant à Serranochromis robustus, espèce non endémique du Malawi, sa grande
taille (50 centimètres) lui permet de s'attaquer à des
Mbunas adultes ainsi qu'à de petits cichlidés.
Sciaenochromis
fryeri : un cichlidé
très calme dont il faut se méfier. Il n'hésite
pas à s'attaquer à de grandes proies.
Ici, il a les yeux plus gros que le ventre. Il sera bien
obligé de relâcher sa proie, en l'occurence un
Neolamprologus cylindricus
qu'il n'aurait jamais pu
rencontrer en mlieu naturel (cichlidé du Tanganyika)
LES TECHNIQUES
DE CHASSE DES GRANDS PISCIVORES
Généralement les
habitats rocheux favorisent les chasses à l'affût, et
les zones sableuses les chasses de poursuite, mais en dehors de ces
généralités, et au sein d'un même genre,
les espèces peuvent utiliser des techniques différentes
(voir plus bas pour les Nimbochromis).
Les chasseurs à
l'affût
Aristochromis christyi
n'est pas un nageur
rapide, mais il compense cette carence par une technique de chasse
originale. Après avoir repéré un Mbuna dont la
taille peut aller jusqu'à 8 cm, il incline son corps vers le
bas et fixe sa proie avec un seul oeil. Il descend ensuite vers elle
très lentement pour ne pas l' effrayer et d'un brusque
mouvement latéral de la tête il la saisit entre ses
mâchoires. Deux autres espèces du Malawi utilisent cette
même technique de chasse, ce sont Tyrannochromis macrostoma et
Exochochromis
anagenys.
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Aristochromis christyi : une cavité buccale
démesurée
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Son profil
effilé lui permet de passer inaperçu.
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Dimidiochromis compressiceps
a longtemps
été considéré comme mangeur d'yeux
(Wickler, 1966). Mais ce comportement n'a jamais été
réellement observé dans le lac. Il est
inféodé à l'habitat rocheux planté de
Vallisneria dans la région de Chizumulu Island.
Jusqu'à une taille de quatre centimètres, il se nourrit
de plancton. Plus tard, sa vie de piscivore consiste
à attendre ses proies en se tenant à la verticale au
milieu de la végétation. sa position lui fournit un
excellent camoufflage. De ses deux yeux il localise sa proie puis se
précipite sur elle d'une brusque impulsion du corps. Il se
nourrit de petits poissons, de jeunes utakas ou d' autres
espèces grégaires. La forme aplatie, la tête
effilée, la mâchoire inférieure plus longue que
la mâchoire supérieure de Dimidiochromis
strigatus sont adaptés à la
prédation: c'est un piscivore qui se nourrit à
l'affût de petits poissons. Eccles et Trewavas (1989) l'ont
décrit comme mangeant également des
invertébrés et des plantes aquatiques, mais c'est
principalement un prédateur embusqué, ce qui explique
qu'il est rarement capturé.

Dimidiochromis
strigatus
Nimbochromis linni
chasse les jeunes Mbunas. Sa grande taille
l'empêche de pénéter entre les rochers, mais il
est avantagé par la couleur de sa robe qui le camouffle dans
l'environnement rocheux. Il passe son temps à nager
tranquillement, toujours à la recherche d'une proie. Lorsqu'il
en a aperçu une, il descend à la verticale, son museau
pointu près des crevasses où se réfugient ses
proies. Il peut rester immobile de longues minutes jusqu'à ce
q'un imprudent arrive à sa portée. Nimbochromis linni
lance alors sa bouche
prohéminente en avant et aspire le jeune Mbuna hors de sa
cachette.
Nimbochromis livingstoni , commun dans
tout le lac, possède une coloration de robe
caractéristique avec des taches blanches et noires. Sa
technique de chasse consiste à se coucher sur le flanc sur le
sable et à camouffler sa silhouette en remuant le sable pour
qu'il le couvre en partie. Les jeunes cichlidés des environs
sont attirés par les taches blanches de son corps et s'en
approchent. Les débris soulevés par le Nimbochromis livingstoni lors
de son camoufflage attirent également les jeunes poissons.
Dès qu'ils sont à sa portée, d'une brève
attaque latérale, le Nimbochromis
livingstoni se jette alors sur sa proie. On pense
également que les tâches blanches et noires sur la robe
du prédateur font penser à un poisson en
décomposition, déjouant la méfiance des futures
proies.
Nimbochromis venustus
utilise une technique
similaire. Lorsqu'il a repéré de tout petits poissons,
il se rapproche du fond sablonneux et attend patiemment que les
proies arrivent à sa portée. On pense que la couleur
jaune de sa robe attire les petits poissons. La patience qu'il peut
avoir en attendant ses proies l'on fait qualifier de "kaligono", tout
comme le Nimbochromis
livingstoni , ce qui veut dire "dormeur". Cette technique
de chasse à l'affût, il ne l'utilise pas lorsqu'il
s'attaque à des proies plus grosses. Mais il se nourrit
également d'invertébrés qu'il rencontre.
Nimbochromis polystigma se rencontre plus volontiers dans les habitats
intermédiaires. Lorsqu'il est seul, il utilise la même
technique de chasse que Nimbochromis
livingstoni , mais sans se coucher sur le
côté. Lorsqu'il vit en banc de vingt à cinquante
individus, il patrouille l'habitat, dévorant tous les petits
poissons rencontrés. Le banc se comporte alors comme une une
meute affamée.
Nimbochromis
fuscotaeniatus
possède comme les
trois espèces précédentes des taches faisant
penser à un chasseur à l'affût, mais personne ne
l'a réellement observé dans cette situation.
Stigmatochromis woodi
fréquente l'habitat
intermédiaire et se cache volontiers sous les roches en
surplomb pour épier ses proies. Les grands spécimens et
ceux qui fréquentent les zones sableuses chassent sur le
sable. Ils restent en position stationnaire et attendent le passage
de leur proie pour se jeter dessus.
Un autre
Stigmatochromis,
S.
modestus
se cache encore plus
que S. woodi puisqu'il attend ses proies à
l'intérieur même des grottes. Les jeunes Mbunas qui y
pénètrent ont peu de chances d'échapper à
la gueule vorace du prédateur.
Stigmatochromis pholidophorus se poste
à un mètre au dessus du sol, attendant les jeunes
cichlidés. Ceux-ci ne semblent pas effrayés de sa
présence, permettant au prédateur de se jetter sur eux
quand ils sont à moins d' un mètre de distance.
Tyrannochromis macrostoma fréquente l'habitat rocheux et chasse à la
manière d' Aristochromis christyi , le corps incliné à 45° et la
tête penchée. Sa bouche énorme permet d'une
brusque impulsion d'arracher sa victime hors de son
refuge. Tyrannochromis
nigriventer chasse à
l'affût les Mbunas adultes en se tenant caché
derrière un rocher, puis s'avance lentement vers sa proie et
se précipite sur elle.
Les chasseurs de
poursuite
Ils sont facilement
reconnaissables à une forme très effilée leur
permettant un déplacement très rapide: les
Rhamphochromis (piscivores d'eaux profondes),
Taeniochromis
holotaenia...
- Champsochromis
spilorynchus est retrouvé un peu partout dans le lac
et c'est un redoutable chasseur de poursuite capable de suivre sa
proie sur de longues distances. Champsochromis caeruleus est lui aussi un chasseur de poursuite, s'alimentant d'
usipas.
- Exochochromis
anagenys se déplace
à grande vitesse à un mètre au dessus du sol,
puis s'arrête quand il a repéré une proie. Il
utilise alors la même technique qu'Aristochromis christyi en s'approchant lentement et en capturant la proie d'une
brusque impulsion latérale de sa tête, la forme
compressée de sa bouche favorisant la prise.
- Sciaenochromis psammophilus est un chasseur
solitaire, nageant à 30 cm du sable, à la recherche de
petits cichlidés et d'invertébrés.
Les prédateurs à
lèvres épaisses
Melanochromis
labrosus possède deux atouts pour s'alimenter :
un corps fortement compressé latéralement et des
lèvres charnues. Son terrain de chasse, ce sont les crevasses
horizontales situées à l'intérieur des grottes.
Après s'être retourné à 90°, dans le
sens de la fente, il applique ses lèvres contre les parois de
la crevasse, l'obturant complètement. Il ne lui reste plus
qu'à aspirer sa proie (petit Mbuna ou crustacé) qui se
dirige directement dans sa bouche.
Protomelas ornatus
possède
également les deux caractéristiques du Melanochromis labrosus mais il ne s'alimente pas à
l'intérieur des grottes. Il patrouille dans l'habitat et
s'arrête parfois pour appliquer ses lèvres charnues
entre les fissures des roches après s'être couché
à l'horizontale. Ses lèvres hypertrophiées sont
pointues et compressées latéralement,
particulièrement adaptées pour les fissures et les
rainures où il déniche les petits Mbunas et les gros
invertébrés qui s'y cachent.
Lichnochromis acuticeps
, lui aussi
compressé latéralement possède des lèvres
charnues et un museau pointu. Il se nourrit de larves d'insectes et
de petits Mbunas. Patrouillant sur de longues distances, il
s'arrête parfois pour dénicher une proie cachée
entre les fentes des rochers.
Les autres techniques de
chasse
Dimidiochromis kiwinge est
un prédateur grégaire qui chasse souvent en bancs. Les
usipas qui sont chassés s'affolent parfois et on peut les voir
se précipiter hors de l'eau pour tenter d'échapper
à leurs prédateurs.
Dans le lac Malawi on rapporte une technique de chasse
observée une seule fois. Il s'agissait d'un Sciaenochromis fryeri qui faisait semblant de picorer l'Aufwuchs. La
méfiance des Mbunas proches fut de courte durée puisque
le prédateur se jeta sur l'un d'eux dès qu'il fut
à sa portée.
Melanochromis baliodigma
est un opportuniste qui
n'hésite pas à aller chercher ses proies parmi les
poissons pris dans les filets des pêcheurs.
Fossorichromis
rostratus est un peu à part dans le groupe des
prédateurs car si les adultes ne dédaignent pas manger
de petits poissons, la plupart du temps ils passent leur
journée à tamiser le sable pour se nourrir des
invertébrés qu'ils trouvent. Preuve qu'ils sont peu
piscivores, c'est qu'on retrouve souvent dans leur sillage les
"suiveurs bleus" qu'ils ne chassent pas. Il faut dire que la taille
de ces suiveurs est peut être un peu grande pour eux, mais en
aquarium les Fossorichromis
rostratus sont peu agressifs
envers les poissons de petite taille.

Fossorochromis
rostratus.
LA
REPRODUCTION
Site de ponte
La plupart des
prédateurs du Malawi pondent dans des cratères de
sable, utilisant peu ou pas les roches. Lorsqu'une même
espèce fréquente différents habitats, elle
adapte ses sites de ponte.
On trouve ainsi:
- des cuvettes de sable, peu profondes isolées
(Dimidiochromis compressiceps
, Naevochromis chrysogaster, Hemitaeniochromis urotaenia ,
Mylochromis sp."kande" )
- des cuvettes de sable, peu profondes au milieu ou à
proximité de massifs de Vallisneria (Dimidiochromis
strigatus )
- des cuvettes de sable, peu profondes près d'un rocher
(Nimbochromis livingstonii
, Hemitaeniochromis urotaenia , Nimbochromis
linni , Taeniochromis holotaenia , Nimbochromis polystigma )
- des châteaux de sable, peu profonds, de un mètre de
diamètre, isolé ( Stigmatochrimis woodi , Dimidiochromis
kiwinge , Mylochromis
spilostichus ) ou près
d'un gros bloc rocheux ( Tyrannochromis nigriventer ). Ce château de sable pouvant aller
jusqu'à deux mètres de diamètre (
Fossorochromis rostratus
)
- Tyrannochromis macrostoma
construit un mur de sable
semi circulaire contre un rocher
- Nimbochromis
linni pond sur un rocher plat
entouré de rochers plus petits
- Nimbochromis polystigma
et Dimidiochromis
kiwinge pondent dans les rochers de l'habitat
intermédiaire
- Nombre d'espèces ne semblent pas avoir de site de ponte (
Nimbochromis venustus ) ou
ne construisent pas de site de ponte ( Buccochromis rhoadesii et Buccochromis
lepturus )
-Sciaenochromis fryeri
n'a pas de site de ponte,
mais dans deux localités (Lupingu et Liuli), on a
retrouvé des mâles dans des cratères de ponte.
Dans le lac on a observé un Sciaenochromis fryeri qui creusait une cuvette en faisant tourner son corps
dans le sable.
La
reproduction en arène ( en "lek")
- Dans l'habitat rocheux ou
sableux, il arrive que des dizaines ou des centaines de mâles
se regroupent, chacun sur un site de ponte. Cela permet aux femelles
d'avoir le choix entre de nombreux mâles. Ce mode de
reproduction est dit " en lek" (Stigmatochromis pleurospilus, Dimidiochromis kiwinge
Otter Point et
Likoma...). Généralement les sites de
ponte en lek sont occupés par les mâles le matin et
abandonnés dans la journée pour pouvoir
s'alimenter. Dans ces lieux de reproduction, certains
mâles d'une même espèce construisent des
châteaux de sable plus larges et plus hauts que les autres. Il
s'agit des mâles les plus vigoureux, les plus beaux qui bien
évidemment seront choisis en priorité par les
femelles.
- Les Nimbochromis
livingstonii ont
habituellement un comportement solitaire en creusant une soucoupe
dans le sable près d'un rocher, mais à Makokola Reef (
sud-est du Malawi) à trente mètres de profondeur, ils
utilisent une reproduction en arène.
Le nombre d'oeufs
pondus et incubés
varie en fonction de l'espèce, de l'âge de la femelle
(et donc de la capacité de sa cavité buccale) et de
chaque individu.
Plus la femelle est jeune et moins elle incubera d'oeufs. Les petites
espèces piscivores comme les Melanochromis
n'incubent que quelques oeufs à une cinquantaine, alors que
les grands piscivores peuvent incuber une centaine d'oeufs.
Serranochromis robustus
peut incuber jusqu'à
cinq cents oeufs, mais ce n'est pas un cichlidé
endémique du Malawi.
LA PROTECTION DES
ALEVINS PENDANT ET APRES L'INCUBATION
La surveillance des alevins
est assurée la plupart
du temps par la mère. Mais on a observé dans le lac
Malawi des femelles Tyrannochronis
nigriventer avec leurs alevins à proximité
de mâles en tenue de frai. Il semblerait dans ce cas que le
mâle participe également à la protection des
alevins. Cela expliquerait qu'une femelle Tyrannochronis
nigriventer puisse rester six semaines à
protéger ses petits, le mâle lui permettant d'aller
s'alimenter entre temps. Mais cela reste encore du domaine de
l'hypothèse.
Paradoxalement, certaines
femelles prédatrices protègent des alevins qui ne sont
pas issus de leur ponte.
A titre d'exemple, les
femelles Aulonacara
pétricoles s'occupent
de leurs alevins pendant un à deux jours après leur
lâcher. Elles les abandonnent ensuite dans les rochers
où ils resteront jusqu'à la taille de trois
centimètres avant de s'aventurer hors de leur abri. Ces
alevins se réfugient souvent parmi les alevins d'une femelle
piscivore qui pourra les protèger pendant trois semaines ( Fossorochromis rostratus, Dimidiochromis
kiwinge), un mois (Nimbochromis
livingstonii, Nimbochromis polystigma, Aristochromis
chrystii,...), voire
même six semaines
(Tyrannochronis nigriventer ). Les alevins "squatters" profitent de l'instinct
maternel de ces femelles qui, dans d'autres circonstances, n'en
auraient fait qu'une bouchée.
LA MAINTENANCE
EN AQUARIOPHILIE
Posséder chez soi des
piscivores nécessite un grand bac. Les prédateurs sont
généralement de grande taille, pouvant aller
jusqu'à quarante, voire cinquante centimètres. Un
calcul simple consiste à dire qu'il faut 20 litres d'eau par
centimètre de poisson adulte (ex : pour un piscivore adulte de
25 cm, il faudra un bac de 25*20=500 litres d'eau au minimum).
Les espèces plus petites comme les Melanochromis ou
les Sc.fryeri peuvent vivre dans des bacs de 200
litres. Il est bien évident qu'il faut réfléchir
aux autres espèces maintenues avec ces prédateurs. Plus
leur taille sera petite, plus elles risqueront de se faire manger.
Les piscivores nés en captivité et nourris avec des
granulés, moules, crevettes, etc... gardent toujours leur
instinct sauvage. On peut atténuer le risque en multipliant
les cachettes pour les petits poissons. Certaines proies vont vite
s'habituer à certaines techniques de chasse. Ainsi, un
Aristochromis christyi arrivera à tromper une ou plusieurs proies, mais
les autres auront vite compris sa technique de chasse et ne s'y
laisseront pas prendre. A l'opposé, un Dimidiochromis compressiceps
arrivera presque toujours à ses fins avec les alevins car sa
patience à l'affût lui sera profitable.
Il est préférable de nourrir les prédateurs avec
une nourriture morte (moules, crevettes, crustacés...). Si on
est tenté de leur fournir des petits poissons comme
nourriture, ils se montreront plus agressifs envers les autres
habitants du bac.
Si on veut les reproduire il est préférable de les
faire jeûner une semaine. Les mâles se colorent et
défendent un site de ponte. On isolera les femelles en
incubation en les capturant pendant la nuit. Elles seront ensuite
isolées dans un bac maternité pour être
tranquiles le reste de l'incubation. Beaucoup d'espèces
protèges leurs alevins pendant plusieurs semaines (voir le
tableau ci dessus).
BIBLIOGRAPHIE
"CICHLIDES AFRICAINS, espèces
d'Afrique orientale" par Dr. Wolfgang Staeck, Horst Linke
"Les cichlidés du Malawi dans leur milieu naturel" 3°
édition. Ad Konings.
"Le grand livre des cichlidés", 2° édition, Ad
Konings.2002.
"Le guide Back to Nature des Cichlidés du MALAWI". 2°
édition, Ad Konings. 2003.
"Cichlidés du lac Malawi de Tanzanie". Andreas
Spreinat.1996
Cichlid
Fishes of Lake Malawi
Février 2007